Danse
d'improvisation, le Tango demande de s'ancrer dans le présent, à l'écoute
de son corps et de celui de son (ou sa) partenaire, une expérience d'une
rare intensité.... Un jeu de corps à corps sans faux semblants.
Le
Tango Argentin,
connu également sous le nom de tango Rioplatense est né à la fin du 19°
siècle sur les deux rives du Rio de la Plata, large fleuve qui unit
l'Argentine et l'Uruguay. Le Tango, danse et culture est issu d'un
métissage de danses et de musiques venues de Cuba (Habanera) de Candombé
des noirs du Rio de la Plata et de la Milonga.
D'abord danse de quartiers, il était fait d'improvisation, de provocation,
de contestation de la culture officielle, son âge d'Or se situe entre 1920
et 1955, Buenos Aires comptait alors plus de 600 orchestres. Son déclin
intervient vers les années 1955 avec l'apparition du Rock, symbole de l'influence
culturelle grandissante des Etats Unis, il faut attendre 1983 pour que le
spectacle "Tango Argentino" en tournée à travers le monde, relance
l'intérêt pour le vrai Tango argentin.
Bien que
ses compositions tendent à dissocier musique et danse, Astor Piazzolla a
beaucoup contribué au regain d'intérêt pour cette danse depuis les années
1980.
Une
danse de racines, une expression universelle
Le tango argentin
est la danse de couple par excellence. Tout d'abord, il y a une femme et
un homme, un Yin et un Yang, un individu qui accueille l'autre comme la
terre mère accueille le ciel et un individu qui donne la direction à
l'autre. C'est la mise en relation des deux grands principes qui, en
s'interpénétrant, en respectant totalement la particularité de l'autre,
peuvent devenir ensemble "créateurs"... de beauté, d'émotion, de magie.
Partager complètement cette polarité pour générer une danse requiert une
grande écoute mutuelle, de développer en soi un état proche de la
méditation : attention éveillée, intériorité, aptitude à saisir
l'opportunité de l'instant. Dans le même état d'esprit, danser en
improvisation nécessite une grande sincérité,
on danse avec son cœur.
Nulle part ailleurs que
dans le Tango cette affirmation n'est aussi concrète, c'est en effet par
la poitrine que l'homme guide et que la femme écoute, vous imaginez sans
problème les implications que cela a pour l'énergie échangée.
Homme, Femme, méditation,
improvisation et sentiment font que l'on peut réellement parler de danse
sacrée.
Fluidité, puissance, félinité, on n'apprend pas le tango, on le devient.
En se donnant les
moyens d'explorer les possibilités naturelles de son corps et parfois
aussi ses propres limites, nous nous découvrons chaque fois un peu plus
par des sensations. La technique du tango est basée, avant tout, sur une
façon de marcher naturelle, fluide, féline et puissante à la fois. Il
s'agit d'amener volontairement le corps à se déplacer et de savoir
retrouver toujours son équilibre sur des pauses. A partir de ces bases,
de multiples évolutions du mouvement seront possibles à deux et les
possibilités de création seront infinies.
Danser
Tango, c'est justement marcher pour être là, présent dans l'instant, ici
et maintenant.
Sentir le centre de
gravité de son corps se déplacer dans l'espace, donner une intention par
le buste (la cage thoracique), donc créer une énergie qui nous prolonge
au delà de notre corps physique, respirer pleinement, sentir chaque fois
que l'on pose le pied au sol, cet ancrage dans la terre, en même temps que
nous étirons le haut du corps, telles sont les sensations qui vont se
développer.
Tel un arbre, grâce à un enracinement profond et dense (recherche de
puissance) nous pouvons alors nous élever vers le ciel (recherche de
spiritualité). Nous
sommes alors reliés à la terre et au ciel.
Nos articulations jouent alors
pleinement leur rôle en se mobilisant pour favoriser la souplesse du
mouvement (chevilles, genoux, hanches, dissociation du haut du buste et du
bassin). Chaque partie de notre corps est en éveil, ici plus tonique, là
plus détendues, les forces contraires sont là pour se compléter.
Tel un
funambule qui maitrise son équilibre en se déplaçant dans l'espace, par
une trajectoire bien précise, nous avançons aisément et surtout nous
sommes capables de maitriser notre arrêt. Chaque pause dans la marche
étant tout aussi vivante. Nous sommes alors en harmonie avec les lois
physiques naturelles.
La
préparation individuelle à la rencontre
Réaliser un instant
magique dans le tango argentin nécessite une certaine préparation.
Celle-ci est principalement de deux types: accepter de prendre sa place et
avoir un corps disponible.
Assumer son sexe
: le problème le plus
fréquemment rencontré par les débutants est de prendre sa place d'homme ou
de femme.
Pour l'homme
: accepter de guider, de ne pas être hésitant. Accepter de voir que chaque
action (même en pensée) a une conséquence sur la danse de la partenaire...
bref accepter de prendre ses responsabilités.
Pour la femme
:
accepter d'être guidée, de ne pas savoir ou l'on va. Accepter de prendre
du plaisir d'être mise en valeur, de faire confiance en l'homme. La danse
en elle-même fait cheminer les hommes et les femmes sur ce chemin, car
sans cela il n'y a tout simplement pas de danse.
Nombreux et nombreuses
sont ceux et celles qui disent s'affirmer dans leur identité d'homme ou de
femme grâce au tango argentin.
Etre
libre de son corps
Le monde moderne
engendre des corps mal à l'aise, plein de restrictions de mouvements et
ayant perdu l'élan de la grâce naturelle.
On ne danse pas avec sa
tête. On ne prend pas
de plaisir sensitif avec des idées. Danser à deux, danser avec la musique
implique de laisser son corps faire, c'est lui qui transforme les sons en
mouvement, l'émotion d'être à deux. En danse, il est difficile d'exploiter
complètement la richesse de la danse sans avoir un corps plein de vie
Créer
le bien être ensemble: l'improvisation dans le Tango, chaque pas est
Tango, un moment unique à deux
Improviser, c'est
faire sans avoir prévu ce qu'on allait faire, c'est s'unir dans l'instant
présent et être prêt à en prendre les risques. Seulement, l'improvisation
heureuse se fera grâce à la confiance en soi et en l'autre au préalable.
Cela devient possible
par un travail des fondamentaux du tango
évoqués plus haut, qui se fait constamment, seul ou à deux, pour une
recherche continuelle d'amélioration. Lorsque les bases sont suffisamment
solides, d'un simple pas peuvent alors jaillir des combinaisons multiples
et infinies, parfois dites figures, parfois fioritures. On peut alors se
surprendre ensemble.
Le bonheur de la nouveauté est possible grâce à des
repères communs.
Ainsi, pas de
Chorégraphie établie dans le Tango,
C'est justement pour cette raison que les possibilités de création sont
infinies, l'objectif à ne pas perdre est la fusion des deux corps.
L'homme tango danse
dans l'instinct. Les
mouvements lui viennent par l'inspiration que lui donne la musique, sa
partenaire, le lieu, l'espace dans lequel il évolue et son état intérieur.
Il est dans l'instant présent, nourri par son passé. La femme l'est tout
autant, encore plus plongée dans l'inconnu, car recevoir les indications
de son partenaire impose une écoute encore plus immédiate. Tous deux sont
lancés dans une aventure commune qui va leur réserver des surprises, de
bonnes surprises, quand l'osmose et l'harmonie sont là,
chacun fait corps avec l'autre.
D'ou
vient cette magie pourtant si naturelle ?
Par des rôles complémentaires comme nous le disions, l'homme guide la
femme par un transfert de ses appuis au sol qu'il lui communique en même
temps qu'il les fait et elle tout aussi active, l'accompagne avec la même
intensité.
Danse de proximité des corps (bien que laissant aussi la possibilité d'une
certaine prise de distance), par l'intention qu'il donne, l'homme guide la
femme en lui indiquant une direction. L'Abrazo,
l'étreinte en tango, amène aussi une
énergie commune.
La musique tango, quant à elle, teintée d'accents et de mélodies si
particulières, amène de telles vibrations que les danseurs en seront
d'autant plus plongés dans une intensité émotionnelle. La musique et la
danse tango ne sont surtout pas linéaires, telles les variations du cosmos
et de la vie.
une musique qui va inspirer un couple de danseurs va leur permettre, elle
aussi, de se rencontrer en tant que personnalité dansante.
Générosité et
sincérité font aussi partie du tango : savoir donner et recevoir tel que
nous sommes.
Fêter
la vie
Si les mots peuvent parfois faire illusion, le corps quant à lui, est un
révélateur de vérité, sans concession. Danser le tango, c'est danser avec
son être tout entier, à la recherche de l'autre et de soi-même. Danser
avec un corps plein d'envies, retrouver les sensations d'un poids qui se
dépose ou se suspend, perdre les repères formels, tout cela est à la fois
une approche très moderne et atemporelle.
Le tango aujourd'hui connait un engouement formidable car c'est une école
de vie pour les individus et une école de la rencontre. C'est une façon de
fêter la vie qui rassemble les gens de tous âges, tous milieux autour
d'une passion épurée, danser, se surprendre, sentir.
Texte de
Roberto Romanelli et Betty Ferreira Jorge, professeurs et danseurs
professionnels de tango argentin,
avec la collaboration de Ena et Nicolas Bernard, danseur/ostéopathe
Retour accueil
|
|